La Bhagavad Gîtâ, texte majeur de l'Hindouisme et de la philosophie indienne, est l'un des textes fondateurs
du Vedânta,
à côté des Upanishad et des Brahma
Sûtra. C’est une partie du Mahâbhârata,
vaste épopée qui conte l’histoire
de lignées de rois et de sages du pays de "Bhârat" (nom véritable de l’Inde). L'épopée contient non seulement des aspects historiques, mais aussi
des récits mythologiques et des
enseignements philosophiques.
Dans la Bhagavad Gîtâ, joyau enchâssé au coeur du Mahabharata, un véritable enseignement sur la vie est délivré par le Seigneur Krishna. Ce message, qui a traversé les siècles, reste d'une étonnante actualité par les réponses qu'il apporte à à des questions essentielles : quel est le but de la vie ? Comment s'accomplir en ce monde ? Comment trouver la paix et la plénitude dans un monde troublé ? Quel est le sens profond de l'action ? Comment notre action ordinaire peut-elle devenir voie d'évolution ?
Nous vous proposons ici une découverte de ce grand texte qui pourra être complétée par certains articles de la Lettre de la CMF (rubrique Publications du menu).
Une courte présentation du texte par Swamini Umananda
Présentation générale de la Bhagavad Gîtâ
Parmi les grandes Ecritures Sacrées qui constituent notre héritage universel, figure la Bhagavad Gîtâ. Ce texte, vénéré par des milllions d’êtres humains depuis des siècles, occupe une place unique parmi les textes sacrés de l’Inde, car elle est un véritable traité sur la vie. Le problème essentiel de l'être humain est posé : comment prendre la bonne décision ? Comment faire le bon choix ? Ce problème est mis en scène à travers un personnage, Arjuna, qui est confronté à un véritable dilemme.
Dans le contexte général du Mahâbhârata, la Bhagavad Gîtâ est plus précisément inscrite dans le récit d’un conflit opposant deux branches d’une même famille royale, les Pandavas et les Kauravas, qui se disputent un royaume. Fortune, possession pouvoir, vanité... Les problèmes des hommes vraiment varient peu... La Gîtâ met en scène deux personnages principaux : Arjuna, un des frères Pandavas, et Krishna, un ami, un parent, mais aussi l’incarnation du Seigneur et du maître spirituel.
Au début du texte, Arjuna traverse une crise. Le jeune prince jusque-là n’avait aucun doute sur la conduite à tenir : les Pandavas, injustement spoliés de leur royaume, n’ont pas d’autre choix que de se battre avec les Kauravas, leurs cousins brutaux et tyranniques. Cependant, juste avant que la guerre ne commence, Krishna mène Arjuna entre les deux armées, et soudain Arjuna réalise qu’il va devoir se battre contre des amis, des parents qui ont choisi le camp des Kauravas, et faire couler leur sang. Son courage l’abandonne, il renonce à combattre et demande à Krishna de l’aider : ce désespoir est décrit dans le premier chapitre. Ensuite, dans les dix-sept autres chapitres, nous assistons au dialogue qui se déroule entre Krishna et Arjuna : Krishna délivre son enseignement à Arjuna, qui peu à peu sort de son abattement, s’enthousiasme, exprime ses doutes, ses interrogations et finalement son émerveillement.
Mais une question se pose : en quoi ce message délivré il y a des millénaires nous concerne-t-il ? Plus largement, quelle est la pertinence des Ecritures sacrées aujourd’hui ? A notre époque où tant de valeurs et de repères sont remis en cause, beaucoup n'y voient aucun intérêt : le mode de penser qui domine notre époque n’incite pas les esprits à se tourner vers ces textes pour y puiser leur inspiration et y découvrir des enseignements concrets.
Notre siècle se caractérise par une aspiration très forte à la liberté individuelle, qui conduit souvent au rejet des disciplines préconisées par les enseignements traditionnels. Depuis des dizaines d’années, diverses méthodes ont ainsi fleuri en Occident, souvent inspirées des philosophies orientales, mais coupées de la profondeur métaphysique ou symbolique de leurs textes fondateurs, amputées de disciplines physiques et mentales jugées superflues et mal comprises.
Et puis, aujourd’hui, tout le monde est pressé, veut aller vite et désire des résultats rapides : peu ont la patience, ou même l’envie, d’aller en profondeur. On se tourne souvent vers des textes plus faciles, des résumés, des condensés, des présentations simplifiées ... Enfin, dans une ère dominée par la science, tout ce qui est ancien n’est plus toujours considéré comme crédible.
Pourtant, c’est le caractère millénaire et profond des Ecritures qui fait leur prix : ces textes ont traversé les siècles, ce qui témoigne de leur valeur. Si les Ecritures ont ainsi traversé les siècles, c’est parce qu’elles contiennent un message éternel. Elles ont de tous temps indiqué aux hommes une alternative universelle : d’un côté la voie de la sagesse, de l’autre celle de la facilité et de l’égoïsme. Miroir de l’âme humaine, les Ecritures montrent sans concession où mène chacune de ces deux voies. Elles traitent de sujets existentiels qui restent d’actualité et que la science n’a jamais pu épuiser : le mystère de la vie, de l’univers, de l’existence humaine, de la mort...
La lecture de la Bhagavad Gîtâ illustre parfaitement la pertinence qu’ont les Ecritures pour le monde d’aujourd’hui.
La Bhagavad Gîtâ : un dialogue entre le maître et le disciple
La Gîtâ met donc en scène deux personnages principaux : Arjuna, un des frères Pandavas, et Krishna, incarnation divine qui joue dans la Gîtâ le rôle de maître spirituel.
Un point intéressant est à noter ici : Krishna va certes aider Arjuna à résoudre son problème, mais il va aussi lui donner les moyens d’éradiquer à jamais de lui la souffrance et le doute, qui viennent toujours d’une vision erronée de la vie et de soi-même. On peut tirer de cela plusieurs enseignements : d’abord, les problèmes que nous rencontrons dans la vie sont toujours le moyen de réfléchir et d’en comprendre un peu plus sur soi et sur la vie. Par ailleurs, cela donne une idée de ce qu’est un maître spirituel : le maître certes peut aider le disciple à résoudre un problème difficile, mais son rôle avant tout est d’essayer, à cette occasion, de l’éveiller à la vérité.
L'amour, la patience dont fait preuve Krishna envers Arjuna illustrent la transmission idéale : le maître ne se lasse jamais de répéter les vérités spirituelles, il encourage son élève et en même temps il est exigeant.
A travers l'attitude d'Arjuna, on voit aussi les qualités nécessaires du disciple : foi, confiance, respect, amour et totale réceptivité.
Une invitation à la transformation intérieure
Dans la Bhagavad Gîtâ, Krishna expose un véritable art de vivre, susceptible de changer complétement notre vie et notre expérience. Il enseigne non seulement une vision du monde, un idéal élevé, mais aussi des valeurs de vie, un comportement, une attitude, une sagesse au quotidien qui permettent une transformation intérieure. La Bhagavad Gîtâ nous invite à changer notre vie en nous changeant, et d’une façon unique, elle décrit l’évolution de l’être comme un processus très logique.
Le mot “processus” indique une succession d’étapes qui s’enchaînent, qui ne peuvent être inversées ni sautées, et qui toutes sont nécessaires à l’ensemble. Ce mot suggère aussi que lorsqu’une étape a été franchie, si l’effort est maintenu, les autres le seront également. C’est très encourageant pour le chercheur spirituel ! S’il commence sa pratique, s’il persévère, s’il suit pas à pas le processus, il est sûr d’arriver au but. Krishna donne très souvent cette assurance tout au long des dix-huit chapitres de la Gîtâ. Les Upanishads le disent aussi : “Celui qui L’a choisi, L’atteint”.
Ce processus d’évolution dont traite la Gîtâ est le passage d’un état d’agitation, de souffrance, d’égoïsme à un état calme, bienveillant, rayonnant de joie et d’amour. C’est une purification progressive, une élévation de l’être qui doit apprendre à se connaître par une introspection dénuée de toute complaisance, à développer des tendances nobles et éliminer les penchants sombres de son être.
Dans la Gîtâ, le processus d'évolution est décrit en termes des "gunas" : ce concept, décrit au chapitre 14, fonde l'approche psychologique très fine de la spiritualité indienne. En lien avec cette approche, le parcours d'évolution peut se résumer ainsi : il faut éliminer tamas, développer rajas et ensuite s'ancrer dans sattva.
En effet, en nous opèrent les trois modalités selon lesquelles la matière tangible et subtile fonctionne :
1) l’inertie, la lourdeur, l’ignorance, la négligence (tamas),
2) l’activité, le dynamisme, la passion (rajas),
3) la lumière, la connaissance, la pureté, la paix (sattva).
Chacun de nous est une combinaison de ces trois modalités, et le but du processus est de passer d’un état dominé par tamas et rajas à un état sattvique. Dans la Gîtâ, ces trois modalités et leurs manifestations sont décrites très précisément : on peut ainsi vérifier à la fois où nous en sommes et les progrès déjà faits.
Autre aspect important : ce processus d’évolution ne s’accomplit que grâce à une harmonisation de toutes les dimensions de l’individu.
L’être humain est doté d’un corps, d’émotions, de raison. Chacun d’entre nous a une dominante : plutôt un tempérament actif, ou émotionnel, ou encore intellectuel. La voie spirituelle choisie doit correspondre à l'aspect dominant notre personnalité.
Trois grandes voies sont donc enseignées dans la Bhagavad Gîtâ :
- l’action accomplie avec une attitude juste, sans égoïsme (Karma yoga)
- la voie de l'amour divin et de l'ouverture du coeur (Bhakti yoga)
- la voie de la connaissance, fondée sur l'étude des Ecritures, l'investigation intérieure et la méditation (Jnâna yoga)
Cependant, nul être humain appartient à un seul type et par conséquent, la Gîtâ recommande une combinaison des voies pour le chercheur spirituel : une voie principale et l'appui des autres voies. Ainsi celui qui a besoin de comprendre suivra la voie de la Connaissance, mais saura nourrir ses émotions par la vénération et transformera son action pour la purifier de l'égoïsme. Le parcours spirituel enseigné par la Gîtâ combine donc à la fois l’action juste (Karma yoga), la dévotion (Bhakti yoga) et la connaissance de la vérité (Jnâna yoga).
Cette synthèse est à la fois à l’échelle de la vie quotidienne, mais aussi à celle, plus longue, de l’existence entière. En effet, une vie emplie par une action juste et noble, apaise l’esprit, le libère de ses désirs égoïstes et donc de ses agitations, et le rend contemplatif. L’être devient alors un jour capable de méditer profondément et donc de réaliser en lui la Vérité divine comme étant sa vraie nature : c’est l’instant de l’illumination, aboutissement du processus d’évolution spirituelle.
La pratique au quotidien
L’étudiant de la Bhagavad Gîtâ est accompagné dans son effort d’évolution : la Gîtâ indique avec clarté et précision les valeurs de vie, les comportements, la vision que doit adopter celui qui veut devenir un être accompli, noble et bon. En cela, ce texte est réellement un traité sur la vie : il ne faut pas seulement lire la Gîtâ, mais il faut l’étudier, la mettre en pratique, éclairer notre vie avec ses enseignements.
Il est impossible de résumer l'ensemble des pratiques, méthodes, instructions que contient le texte. Voyons simplement les grandes lignes.
Le mode de vie enseigné par la Bhagavad Gîtâ contient plusieurs grand axes :
- discipline des sens (nourriture, sommeil, activité, distractions),
- apaisement de l'esprit avec : un travail sur les attachements et les désirs personnels, la pratique de la concentration,
- élévation de la personnalité grâce à un mode de pensée et d'agir guidé par les principes nobles (dharma),
- transformation de l'attitude dans l'action quotidienne (devoirs dans la société et projets personnels) pour que nos actions nous permettent de grandir au lieu de nous enchaîner,
- l'intégration des pratiques spirituelles propres à la voie suivie dans le programme quotidien (étude des Ecritures, méditation, chant, prière...).
Conclusion
AInsi c'est la vie quotidienne qui est le lieu de la pratique spirituelle, comme le champ de bataille a été pour Arjuna le lieu où il a été instruit. Il n’y a pas, pour évoluer, d’autre lieu, ni d’autre opportunité que la vie et le contexte où nous sommes placés.
L’action est inévitable aussi longtemps que nous sommes vivants. Nous devons sans cesse agir, ne serait-ce que pour nous maintenir en vie : le simple fait de respirer est une action. A chaque instant, nous sommes poussés vers l’action par les multiples désirs qui naissent en nous. Par conséquent, “saisissons-nous de cette nécessité d’agir pour progresser”, nous disent les sages de l’Inde : une telle attitude réconcilie vie extérieure et vie intérieure.
Ce qui fait le lien entre vie matérielle et vie spirituelle, c’est ce que la Gîtâ appelle “l’art de l’action juste” (karma yoga) : agir pour un idéal et non uniquement pour des motifs étroitement égoïstes, agir sans se laisser dominer par l’anxiété pour le résultat espéré, et accepter le résultat quand il arrive, quel qu’il soit.
La spécificité de la Bhagavad Gîtâ est de délivrer la vérité ultime enseignée par les Upanishads, mais d'une façon qui la rend accessible à l'homme ordinaire, engagé dans le monde.
L'art du commentaire
Ainsi, nous l'avons vu, l’ancienneté de ces textes n’altère en rien leur pertinence, bien au contraire. Et d’ailleurs, les problèmes des hommes du vingtième siècle ne sont-ils pas les mêmes que ceux des hommes d’autrefois ? Aujourd’hui comme hier, les hommes sont confrontés à leurs passions, leurs désirs, leurs émotions. Ils doivent entrer en relation avec le monde extérieur et trouver leur équilibre. Les problèmes des hommes ont peu changé, seul le contexte varie.
Par contre, le message que nous délivrent les Ecritures doit être régulièrement reformulé, adapté au langage, à l’esprit et aux problèmes de l’époque. D’où la tradition en Inde de l'art du commentaire : tous les grands maîtres sont autorisés à donner sur les Ecritures un point de vue, un éclairage, une interprétation, à la lumière de leur propre expérience. Ainsi, au fil des siècles, tous les grands textes de la philosophie indienne ont été commentés, et c’est ce qui garde les Ecritures vivantes.
Dans la tradition indienne, les critères donnant une autorité à un commentaire sont les suivants :
- une maîtrise totale de la langue (en l'occurrence le sanskrit),
- une connaissance profonde de la pensée et de la philosophie (darshanas),
- et une expérience de la vérité qui seule permet une compréhension du langage scriptural, souvent paradoxal, mystique, symbolique.
Les quelques sept-cents versets qui composent la Bhagavad Gîtâ ont été traduits en français depuis longtemps, et diverses versions sont aujourd’hui disponibles. En revanche, si de nombreux commentaires ont été composés par de grands philosophes indiens, très peu sont à ce jour disponibles en français.
Depuis 1998, est disponible en français le commentaire de Swami Chinmayananda devenu aujourd'hui ouvrage de référence réédité régulièrement. Ce commentaire porte sur le texte intégral.
Swami Chinmayananda est considéré comme l'un des grands commentateurs contemporains de la Bhagavad Gîtâ. Ceux qui l'ont écouté ou lisent aujourd’hui ses ouvrages réalisent la pertinence de son enseignement, fondé sur le message des Ecritures : ce qui est exposé, ce n’est pas le vestige d’une tradition désuète, mais un moyen direct de résoudre les difficultés de l’existence, de mener une vie dynamique et pleine de sens, alliant harmonieusement le matériel et le spirituel, l’action et la contemplation. Le commentaire est en appui direct sur le commentaire composé par Âdi Shankara.
Extraits : sélection de versets de la Bhagavad Gîtâ
Citations extraites du commentaire de Swami Chinmayananda
"Il ne naît pas, Il ne meurt pas. Ayant existé de tous temps, Il ne cesse jamais d'exister. Non Né, Eternel, Immuable et Ancien, Il n'est pas tué quand le corps est tué." (II : 20)
"Me dédiant toutes tes actions, le mental fixé sur le Soi, libre de l'attente, de
l'égoïsme et de toute fièvre mentale, combats !" (III,30)
"Tout comme l'âme incarnée dans ce corps traverse l'enfance, la jeunesse et la vieillesse, elle passe aussi dans un autre corps. L'homme sage ne s'en afflige pas." (II : 13)
“Un homme doit s’élever par lui-même, et il ne doit pas s’abaisser. Car il est son propre ami et son propre ennemi" (VI, 5)
“Celui qui considère d’un oeil égal tous les êtres, qu’ils soient bienveillants, amis, ennemis, indifférents, neutres, haineux, bons ou méchants, se distingue entre tous.” (VI, 9)
Le Seigneur suprême dit : "Je suis le Soi, ô Gudâkesha, siégeant dans le cœur de tous les êtres. Je suis le début, le milieu et aussi la fin de toutes les créatures." (X, 20)
Des articles sur la Bhagavad Gîtâ sont aussi disponibles dans la rubrique "Lettre de la CMF" :
Etudier la Bhagavad Gîtâ :
La Chinmaya Mission France dispense
propose une étude directe des Ecritures à travers ses Groupes d'étude. La Bhagavad Gîtâ est enseignée dans ces groupes sous les deux formules suivantes, selon les années :
- Présentation générale du texte (étude des 18 chapitres sur une année)
- Étude détaillée et approfondie par chapitre sur une année
Si vous ne pouvez assister aux enseignements qui sont dispensés à Paris, vous pouvez étudier le texte en ligne. Un module présentant les 18 chapitres est d'ores et déjà disponible sur le site : Yogadelaconnaissance.com dans l'Espace "Etude des Ecritures".
Découvrir l'enseignement de la Bhagavad Gita grâce au commentaire des maîtres
Swami Chinmayananda est un grand commentateur de la Bhagavad Gita, célèbre en Inde et à travers le monde pour ses enseignements sur le texte, délivrés avec un style unique. Son commentaire est disponible sous la forme d'un ouvrage et aussi en video.
Des extraits de ses enseignements sont en ligne sur Youtube.
Swami Tejomayananda est l'actuel responsable de la Chinmaya Mission et il est aussi un grand enseignant, conduisant des sessions sur la Bhagavad Gita, les Upanishads et de nombreux autres textes.